C’est un témoignage à la fois bouleversant et inédit. Celui d’une ancienne handballeuse du célèbre club de la capitale camerounaise - le Tonnerre Kalara Club (TKC) . Elle s’appelle Julie Ndowe. Aujourd’hui âgée de 32 ans - elle témoigne des viols dont elle a été victime de la part de son entraîneur alors qu’elle était encore adolescente et évoluait dans l’équipe de handball. Un secret qu’elle a gardé pendant 15 longues années et qu’elle a décidé de révéler à Sport News Africa. De notre correspondant au Cameroun
Peut-on parler de fardeau à porter ?
Exactement ! Ça fait trop longtemps que ça dure. Il m’a fallu du courage pour vous en parler afin de briser l’omerta qui existe sur les viols et les violences sexuelles dans le sport au Cameroun. Ce qui est assez frustrant, c’est que ce monsieur continue de vivre sa vie. Il a même changé de métier entre temps. Il est devenu un haut cadre dans l’administration camerounaise.
Quel souvenir gardez-vous de ces moments-là ?
Un souvenir amer et dégoutant. Cet entraîneur faisait peur à toutes mes coéquipières. Il avait un certain charisme. Parfois, lors des entraînements, il faisait des gestes inhabituels surtout vis-à-vis de moi. Il lui arrivait régulièrement de m’écarter les jambes, de se coucher sur mon dos, sous prétexte de m’aider à faire certains mouvements et certains exercices. Pendant les moments de relaxation, il me faisait des tapes surs les fesses. Aussi, une nuit, alors que nous étions en rassemblement pour jouer un match hors de Yaoundé, il est passé dans la chambre d’hôtel où je dormais avec une autre coéquipière. Il m’a discrètement réveillée, m’a fait sortir de la chambre et nous nous sommes dirigés vers la sienne.
Et ensuite ?
Il m’a dit que ça devait être un secret entre nous. Cette phrase assassine est restée ancrée dans mon cerveau pendant tout ce temps. Il a commencé à me toucher les seins. Je n’osais pas faire le moindre geste d’opposition. Il a ensuite enfoncé ses doigts dans mon sexe. Cette façon d’agir est allée crescendo jusqu’à la pénétration vaginale. Il m’a violée à plusieurs reprises alors que je n’étais jamais consentante. J’étais totalement impuissante.
Vous détenez un carnet dans lequel vous notiez des lettres à côté des dates. Je vois par exemple le T, le S, et le C. Quelles sont leur significations ?
Je n’étais qu’une adolescente. J’avais pris pour habitude de noter dans mon carnet personnel, des choses qui ne me semblaient pas correctes. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de noter ces lettres. Le T pour toucher, le S pour sucer, le C pour coucher. Elles traduisent le supplice que j’ai vécu avec cet entraîneur pendant deux ans. J’avais à un moment dénoncé ces viols auprès de mes parents qui n’ont rien pu faire, parce que pauvres et démunis. Cet entraîneur avait une emprise sur moi. Il prétextait parfois des entraînements plus longs avec moi pour réaliser ses attouchements et coucher avec moi. J’étais terrifiée. Et il a été le premier homme avec qui j’ai eu des rapports sexuels. Pire encore, des rapports non consentis.
Avant d’accomplir sa sale besogne, il appelait mes parents pour leur dire qu’il allait me garder plus longtemps aux entraînements, et il prétextait que je n’assimilais pas bien certaines choses. Ensuite, il finissait l’échange téléphonique en leur disant qu’il allait me raccompagner jusqu’à la maison. Il leur disait de ne pas s’inquiéter. Des paroles rassurantes qui faisaient dire à mes parents qu’il était soucieux de mon devenir. Il ne tarissaient pas d’éloges envers lui. Ils disaient qu’il est bien, qu’il est un entraîneur qui veille sur moi afin de faire de moi une grande handballeuse. Et à la fin des entraînements quotidiens, autour de 18h30, je me retrouvais seule avec lui. Et il en profitait. Ce qui était terrible, c’est qu’il m’enfermait dans son véhicule, verrouillait les portières et m’amenait dans un parking désert pour me violer. Je me sentais piégée.
C'est la raison pour laquelle vous avez écourté votre carrière ?
Tout à fait. J’ai dû abandonner le handball. J’ai d'abord essayé de mettre les responsables du TKC au courant de ces viols. J’avais tout fait pour échanger avec Monsieur Antoine Essomba Eyenga, qui était le président du club à l’époque. Ensuite, j’ai essayé de toucher les responsables de la Fédération camerounaise de handball, sans succès. La réponse qui me revenait était : "Il faut fermer les yeux". Personne ne m’écoutait.
J’avais 17 ans, c’est l’âge pendant lequel, chaque jeune fille rêve du prince charmant et d’une belle carrière nationale et internationale. Ce monsieur m’a retirée ce qu’on ne pourra jamais me redonner. Je ne lui pardonnerai jamais. Aujourd’hui, je peux en parler. Mais je ressens une envie de vomir en racontant mon histoire. Il y a d’autres victimes qui me voient et me parlent. Nous sommes en train de réfléchir à la mise sur pied d’une association des victimes des violences sexuelles dans le sport au Cameroun. C’est grave. C’est même très grave. Beaucoup ne veulent pas en parler. Parce qu’ils ont peur. Que ce soit les femmes ou les hommes. C’est abominable. Je ne sais même pas comment j'ai pu ne pas tomber enceinte durant toutes ces années. Il ne se protégeait presque jamais.
Où en êtes-vous à présent ? Avez-vous pu vous reconstruire ?
Aujourd’hui, je me suis reconvertie. Après cet épisode, j’ai abandonné le sport et par là le handball. Le seul sport que je pratique à ce jour, c’est juste pour garder la forme. Je me suis inscrite en Licence de sociologie et ensuite, j’ai poursuivi en Master dans une université privée de Yaoundé. Je suis actuellement responsable des ressources humaines dans une organisation non gouvernementale locale. N’eut été le soutien de ma famille, je ne sais pas ce que je serai devenue. Je me suis reconstruite. En racontant mon histoire, c’est un poids dont je me sépare. Je me sens désormais libre.
Entretien réalisé par Fabien ESSIANE
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