Les lutteurs sénégalais se sont lancés dans le MMA ces dernières années avec des fortunes diverses. L’argent et la rareté des combats des «VIP» dans les arènes sénégalaises - sont parmi les causes de ce phénomène. Cette ruée suscite pas mal d’interrogations avec les récentes défaites de Bombardier et Reug-Reug. Et le Comité national de gestion de la lutte au Sénégal n’a pas l’intention de rester en marge face à cette «concurrence» qui prend de plus en plus d’épaisseur. De notre correspondant au Sénégal
Bombardier, Reug-Reug, Siteu… Quelques grands noms de l’arène sénégalaise qui ont tenté le grand saut dans la lutte traditionnelle au Mixed Martial Arts (MMA). Ce qui semblait être juste une exhibition, lorsque Bombardier alors auréolé du titre de Roi des arènes, affrontait le Sénégalo-Suisse Rocky Balboa, est finalement devenu le début d’un phénomène. Ama Baldé «Pika», «2 Gigas» ou encore Call de JAP ont récemment tenté l’aventure dans l’octogone.
Ce qui ressemble désormais à une ruée s’explique par des raisons financières à en croire Maître Dame Seck, pionnier du MMA au Sénégal. «Les lutteurs pensent que le MMA paie plus que la lutte traditionnelle, indique l’ancien DTN et entraîneur national de taekwondo au Sénégal. C’est par soucis financiers, pensant qu’ils pourraient se faire plus d’argent. C’est l’unique raison.»
Le manager en MMA de Reug-Reug, Leyti Sène, embraye : «Les lutteurs sénégalais ont leur place dans le MMA. Nos champions s’y lancent car c’est un sport payant et très organisé pour se faire un nom à l’international.»
Abdoulaye Dembélé, journaliste à Sunu Lamb, un quotidien spécialisé en lutte, fait la genèse des premiers pas de Bombardier en MMA. «En 2018, rembobine-t-il, Rocky Balboa s’est longtemps heurté aux refus du CNG de le laisser affronter Balla Gaye II, puis Bombardier en lutte avec frappes prétextant qu’on ne pouvait laisser nos champions affronter des lutteurs inconnus du sérail. Balboa avait dès lors activé son carnet d’adresses pour défier Bombardier en MMA.»
Un combat expéditif remporté le 5 mai 2018 par Bombardier. Derrière, le lutteur sénégalais de 150 kg enchaîne le 1er mars 2020 en atomisant le champion anglais Danial Padmore avant de s’incliner face au Polonais Pudzianowski.
Les lutteurs sénégalais sont connus pour leur puissance et leur explosivité. De vraies forces de la nature. Pour s’engager en lutte avec frappe, où l’on note l’absence de gants de protection, il faut s’armer d’un grand courage. Autant de facteurs expliquant, selon Maître Dame Seck, certaines prédispositions de ces athlètes pour le MMA. «Les lutteurs ont de réelles dispositions pour réussir au MMA, décrète Me Seck. Pour aller à la lutte avec frappe il faut être très courageux. C’est des combats à mains nues, où il n’y a pas de catégorie de poids. Un poltron ne peut pas faire un tel sport. Ils savent lutter, ce sont en général de grands gabarits. La plupart d’entre eux a déjà fait de la boxe. Des aptitudes qui peuvent servir au MMA.»
Mais tous les profils de lutteurs au Sénégal ne conviennent pas forcément à un sport comme le MMA. Me Dame Seck, toujours : «Les lutteurs avec frappe ont un bon profil pour le MMA car ils savent déjà lutter. Et on ne peut se lancer dans l’arène sans pour autant s’entraîner à la boxe anglaise. Ceux qui font le mbapatt (lutte simple) sont très limités pour le MMA parce qu’ils ne savent pas frapper.»
Le technicien ajoute : «Les risques sont d’aller au MMA sans préparation. Je leur (aux lutteurs sénégalais) conseillerais de commencer par des compétitions amateurs comme celles organisées au Sénégal, où le règlement est allégé avec l’interdiction de coups de coude et de coups de genou. Et la limitation du temps des rounds à 3 minutes (contre 5 en combats professionnels). Une sorte d’apprentissage avant de se lancer en compétitions professionnelles.»
La première défaite de Bombardier le 23 octobre dernier sur un KO au bout de 15 secondes de combat a soulevé pas mal de questions. Auparavant, c’est Reug-Reug qui essuyait son premier revers face au Biélorusse Kirill Grishenko, également sur KO. Depuis, une prise de conscience sur l’inexpérience des lutteurs sénégalais en MMA s’est installée.
«Le MMA est très diversifié au niveau de la technique. Il faut nécessairement étudier les techniques de coups de pied, décrypte Maître Dame Seck. C’est très important et cela s’est vu lors de la défaite de Bombardier (face à Pudzianowski) quand il a pris un low kick (coup de pied bas), ça l’a totalement désarçonné. Pareil pour Reug-Reug qui a aussi reçu un low kick (face à Grishenko). C’est une arme qui peut s’avérer fatale en MMA si elle est frappée au bon endroit.»
Celui qui est également directeur technique de l’association MMA Sénégal recommande aux lutteurs sénégalais d’assimiler plus de techniques de combats pour réussir au MMA. «Il n’y a pas que les techniques de coups de pied qu’ils doivent étudier, souligne-t-il. Le combat au sol est aussi une chose importante. Contrairement à la lutte sénégalaise où lorsqu’il y a une chute le combat est terminé. Alors qu’au MMA, ils ont besoin d’étudier le Ju-jitsu brésilien, les techniques de combat au sol qu’on peut prendre au judo, à la lutte gréco-romaine.»
Me Seck nuance en rappelant qu’on n’avait pas besoin d’être bon dans toutes les techniques de MMA : «Francis Ngannou, est devenu champion du monde MMA en poids lourd alors que ce n’est pas un spécialiste du sol, sa force c’est la boxe anglaise.»
De plus en plus de lutteurs sénégalais tentent leur chance en MMA. Et d’autres rêvent aussi d’imiter leurs prédécesseurs. Une situation pas forcément du goût du CNG. Son président, Bira Sène, n’a pas manqué de rappeler certains lutteurs à l’ordre via une circulaire de l’instance. «Il est désormais interdit aux lutteurs de participer aux combats MMA aussi longtemps que les contrats qu’ils ont signés (avec des promoteurs de lutte) ne seront pas encore exécutés», peut-on lire.
Une décision justifiée selon le journaliste Abdoulaye Dembélé. «Le CNG est dans son rôle de protéger des combats des lutteurs et les promoteurs qui ont investi leur argent, note-t-il. Le CNG comme instance dirigeante de la lutte ne devait même pas fermer les yeux sur le phénomène des lutteurs qui se lancent en MMA.»
Le manager de Reug-Reug n’est pas du même avis. Il regrette : «Le CNG doit plutôt faire de son mieux pour améliorer la lutte sénégalaise en le montrant plus à l’étranger que de vouloir cogner sur les acteurs. C’était même le travail du CNG de faire combattre ces milliers de lutteurs qui s’entraînent nuits et jours sans combat. Vu la situation, beaucoup de lutteurs préféreront quitter l’arène sénégalaise pour le MMA.»
Pour Abdoulaye Dembélé, la lutte sénégalaise est menacée par le MMA. «Le risque pour la lutte c’est que généralement ce sont les grands champions qui quittent pour des compétitions de MMA, signale-t-il. Si on prend l’exemple de Reug-Reug, il représente l’avenir de la lutte sénégalaise, promis au trône de Roi des arènes, le prototype du lutteur sénégalais par excellence avec du spectacle garanti à chacun de ses combats. Ce serait une grosse perte s’il venait à migrer vers le MMA. Ses combats polarisent toutes les passions. Ce qui n’est pas le cas de Bombardier s’il devait aller définitivement au MMA. Il a d’ailleurs atteint l’âge limite à la lutte sénégalaise (ndlr, 45 ans), et n’a clairement plus d’avenir dans l’arène.»
Ce phénomène n’a pas encore livré son verdict alors que du côté des lutteurs sous contrat dans l’arène et engagés en MMA, on n’en démord pas pour poursuivre également la compétition MMA malgré la mise en garde du CNG. Un feuilleton que SNA continuera de scruter pour ses lecteurs.
Moustapha M. SADIO
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